BIOGRAPHIE
Marie Béland sort de l’université en 2003 avec une formation en création de la danse contemporaine. Elle fonde ensuite sa compagnie, MARIBÉ – SORS DE CE CORPS, qui soutient encore aujourd’hui son travail chorégraphique. À la fois créatrice, porteuse de projets et collaboratrice, elle débute sa trajectoire par la recherche d’une signature gestuelle singulière. Cette démarche est rapidement remplacée par la création d’œuvres expérimentales et performatives, ayant comme intention de questionner la fabrication du spectacle, les lieux communs de la danse de création et les artifices de la scène. À l’aube des années 2010, elle ouvre un nouveau pan de son travail en portant une attention soutenue à la chorégraphie que produisent nos corps en train de parler, un état qu’elle qualifie de « corps-parole ». Sa pratique l’a amenée à collaborer avec certains des plus grands artistes-interprètes de la scène montréalaise, dont Anne Thériault, Marilyne St-Sauveur, Simon-Xavier Lefebvre, Rachel Harris, Peter Trosztmer, Andrew Turner, pour n’en nommer que certain.e.s. Elle s’associera également à des productions théâtrales, musicales et multidisciplinaires.
Depuis 20 ans, Marie se démarque par des œuvres qui invitent le grand comme le jeune public à la réflexion, et qui ont été présentées dans des théâtres, des festivals, des espaces privés et publics, au Québec, au Canada comme en Europe et en Afrique. Puisant sa matière parmi les gestes qui composent nos lieux communs sociaux comme culturels, Marie réutilise les mouvements présents dans différentes sphères de nos vies pour rendre visible leur dimension esthétique. Par un travail sur la présence scénique et la performance, elle réfléchit à l’impact sur le spectateur d’une image du corps oscillant entre le geste quotidien, le mouvement « ordinaire », et leur déploiement en œuvre d’art vivant. La scène agit alors comme un révélateur des zones troubles de la fiction – intervertissant le vrai, le faux et la vraisemblance. Ses créations abordent le spectacle comme un phénomène à la fois social et esthétique, une occasion d’étudier l’impact des artifices de la scène sur nos perceptions de l’Autre, et le rôle de l’art vivant dans nos sociétés. Elle travaille actuellement une nouvelle création qui aborde la sororité à travers des pratiques rituelles cycliques.
Marie est également co-fondatrice de feu La 2e Porte à Gauche (2003-2018), et publie en 2019 son mémoire de maitrise intitulé Cartographie de la scène : les forces en jeu dans le spectacle vivant, qui cherche à questionner l’objet spectacle et à en comprendre les rouages. Elle est finalement membre du corps professoral de l’EDCM, et agit comme chargée de cours à l’UQAM.
La compagnie maribé – sors de ce corps est membre de Circuit-Est centre chorégraphique et est représentée par Art Circulation.
Photo de Sylvain Verstricht
Quel a été ton premier amour en danse?
Quand j’avais 14 ans, j’ai suivi mon premier cours de danse en milieu scolaire à mon école secondaire. Au premier cours, la professeure nous a fait improviser sur une série de musiques instrumentales, puis à la fin sur une chanson de Nirvana. Ça a été comme un appel très fort. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai compris que la danse pouvait revêtir différentes esthétiques et que, quelque part, il y en avait une qui pouvait me ressembler.
Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi?
On dit souvent que mon travail est ludique, et ça, je ne peux plus l’entendre! Ce n’est pas que c’est faux, au contraire, mais il y a dans le mot ludique une aura de légèreté, d’insouciance, qui s’apparente aux activités gratuites, sans ancrage ou sans fondement. Or, c’est tout le contraire de ce que je souhaite faire. Pour moi le jeu, c’est sérieux! Un jeu est structuré, il a un cadre, des règles, il demande pour être activé que chacun endosse son rôle, mais aussi fasse des coups, déjoue, invente. Il demande à ce qu’on s’implique, qu’on soit créatif, qu’on repère les agencements, qu’on manipule les limites, qu’on soit intelligent. À mon sens, il n’y a pas grand-chose de léger et gratuit là-dedans; c’est plutôt un des grands apports de l’art, comme du jeu, à notre société : cette possibilité de se mettre au défi, parfois même en danger, et de capitaliser sur cette expérience, de lui permettre de forger la personne que nous sommes. Ce qui est léger et sans conséquence, c’est le dénouement. On peut perdre au jeu ou voir un spectacle sans intérêt, et on n’en mourra pas.
Quel est ton rapport à la critique?
Il est très ambigu, car je ne sais plus aujourd’hui quel rôle joue peut jouer la critique en danse. Avec la disparition quasi totale des critiques de spectacle de danse dans les médias de masse, qui sont également en péril (comme certains journaux), je ne sais plus quel est le rôle de la critique, quel est son ancrage, son pouvoir. Je ne lis jamais les critiques des autres spectacles, je n’ai pas vraiment le temps ni l’intérêt pour ça. J’ai le sentiment que les bons billets sur un spectacle concourent à développer son aura, faire courir le bruit comme quoi c’est «à voir»; mais souvent, le temps que la nouvelle se répande, le spectacle est terminé. Quand j’ai commencé il y a 12 ans, je la prenais très au sérieux et ça me touchait. Aujourd’hui, je lis les critiques comme des avis de spectateurs, comme un feedback sur l’œuvre venant d’un spectateur averti. Je suis contente de les lire, je les partage sur les réseaux sociaux, ils deviennent comme partie prenante du réseau qui entoure l’œuvre. Ils se résument souvent à la décrire (et volent parfois des punchs de mon spectacle!), et proposent peu de mises en contexte ou de perspectives historiques ou esthétiques. Je ne les entends plus comme des voix d’autorité.
De quoi es-tu le plus fière?
Chaque fois que je ressens de la fierté, c’est quand les autres (le public, les pairs, les critiques) reconnaissent dans mon travail quelque chose qui n’est qu’à moi, qui est si singulier qu’il est caractéristique de mes œuvres. Je ne ressens pas le besoin de parler de moi dans mes œuvres, mais je souhaite que ma façon de parler, elle, soit unique. Ça me rend fière quand ça arrive parce que ça signifie pour moi que j’ai réussi à dépasser les lieux communs de mon médium, de ma pratique, à m’approprier assez les paramètres de la danse pour qu’ils soient au service des questions que je pose. Pour moi, c’est un signe de maturité dans le parcours d’un artiste. Je suis aussi très fière des gens qui travaillent avec moi, les interprètes avec qui je collabore surtout. Je suis fière de montrer au public l’œuvre comme étant notre acte de collaboration, comme une trace de la qualité des gens qui sont rassemblés autour de mon projet, comme le résultat d’un commun accord. Je trouve que ça allume une petite lumière dans la grande noirceur des conflits.
De quoi la danse a-t-elle besoin aujourd’hui?
Je ne sais pas si je peux répondre à cette question, mais je peux dire ce dont j’ai eu besoin pour comprendre ma danse. J’ai eu plus de facilité à me positionner à partir du moment où j’ai pu distinguer deux choses : la danse et la chorégraphie, la danse et l’art contemporain. Distinguer le mouvement dansé et son organisation chorégraphique (on peut danser sans chorégraphie, comme dans un bar, et on peut chorégraphier autre chose que de la danse, comme le mouvement d’un objet), et renforcer ce que la danse contemporaine a de contemporain, comment elle est une plus proche parente de la philosophie de l’art contemporain que de la danse dans son sens large (je pense ici à des pratiques de la danse plus commerciales, comme celles que nous voyons à la télévision). Si ces précisions m’ont aidé à me positionner comme artiste, alors peut-être qu’on peut dire que c’est ce qu’on a besoin pour la danse : de savoir mieux en parler, avec précision, sous plusieurs angles, en en déterminant mieux les esthétiques et les partis-pris, pour faciliter son accès, sinon inciter le public à s’y frotter. La danse a besoin qu’on développe notre discours à son sujet. Mais ça, on le sait déjà, car je pense que c’est déjà en train de se faire, peu à peu.
Si on t’en donnait les moyens, quel fantasme de danse te paierais-tu?
Celui de faire vivre mes œuvres plus longtemps. Je vis très mal avec l’aspect éphémère de mon médium. Je trouve désolant de travailler pendant un an, souvent plus, et de présenter la pièce trois fois. Si c’était en mon pouvoir, je ferais moins d’œuvres, mais je prolongerais leur durée de vie, je les confronterais plus souvent au public, je les laisserais prendre de la maturité, se transformer, vieillir au contact des gens. Les spectacles de danse contemporaine ont très souvent une plus longue vie dans l’intimité du studio qu’en présence des spectateurs pour lesquels ils ont été pensés. Ça ne revient pas à dire que chaque œuvre que l’on crée a un contenu assez fort pour durer, mais j’ai senti parfois dans le passé que certaines de mes pièces auraient pu vivre plus longtemps si ce n’était d’enjeux économiques. Je sens parfois qu’on est dans une logique de créer/jeter qui crée un débalancement écologique. Je ne suis pas certaine que la voie muséale est une solution pour la danse mais, si j’en avais les moyens, j’aimerais rétablir l’équilibre entre les temps de création et les temps de présentation.
Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art?
Quand je pense à cette question, je pense plutôt à ce qui m’empêche d’arrêter; parce qu’au final, il y a mille raisons de laisser tomber une job si exigeante et qui rapporte si peu, où on se fait plus souvent décourager que valoriser. Qu’est-ce qui me manquerait fondamentalement si j’arrêtais? Le moment de la représentation qui me motive beaucoup. Je trouve ça extrêmement gratifiant de construire un objet, de le complexifier, de le structurer dans ses mille ramifications de sens et de sensations, de le partager ensuite avec les autres et que ces autres en reçoivent quelque chose, y voient quelque chose, y pigent quelque chose. Ça devient une façon de se reconnaître et de se parler entre humains. Il y a dans ça un aspect communautaire qui me pousse, qui m’incite à continuer. Je retrouve aussi l’idée de communauté dans les groupes qui se forment autour de la création d’une œuvre. Cette communauté temporaire autour d’un projet de création a une force à peine visible de l’extérieur, mais en fait c’est souvent très intense ce que nous vivons lors des processus de création. Ça nous unit et ça nous soude. Notre complicité dépasse souvent celles de simples collègues. Je ne sais pas si je pourrais retrouver cela ailleurs, si je quittais l’art. Finalement, je vois encore dans une certaine pratique artistique l’artisanat, c’est-à-dire faire œuvre en-dehors du contexte industriel, comme un des derniers bastions de résistance au système capitaliste qui peut agir de l’intérieur, un des derniers espaces où les lois ne sont pas tout à fait les mêmes que celles qui rythment le reste de nos vies; un peu plus d’ouverture, un peu plus de flexibilité, un peu plus de créativité et de prise de risques. Juste pour ça, ça vaut la peine de continuer.
– marie b.